Tribunes

Actualités

Je suis venu ignorer devant vous

Après ses diverses réflexions, Mr Hamid Tawfiki, DG de CDG Capital, partage avec nous sa nouvelle tribune '' Je suis venu ignorer devant vous '' mettant en avant l'ignorance sous différentes perspectives. 

To know that you do not know is the best. To think you know when you do not is a disease. Recognizing this disease as a disease is to be free of it.” Lao Tzu

L’ignorance est notre état originel. Elle fait du monde qui nous entoure un lieu d’abord enchanteur, parce que tout y est nouveau, offert à la curiosité. Mais bien vite, ce lieu se révèle menaçant. Le malheur viendrait alors de notre propre faiblesse, parce que nous ne nous connaissons pas.

L'ignorance est aussi l'écart entre la réalité et la perception que l'on en a. Cet écart peut être la conséquence d'un préjugé, d'une illusion, d'une erreur de logique, d'un biais de la pensée ou tout simplement le fait de ne pas savoir (sic !).

Certes, il n’est pas sûr que la volonté de savoir, d’expérimenter, de s’instruire soit pour autant un gage de bonheur. Car non seulement apprendre demande des efforts souvent vécus comme pénibles, mais, l’omniscience étant impossible, tout savoir est limité, et donc frustrant. Il est force est de constater qu’on est toujours plus ou moins ignorant en raison de notre finitude. L’omniprésence de l’ignorance est donc sans fin. Tous humains, tous ignorants.

L’insatisfaction semble inhérente à la connaissance. Est-il alors préférable de faire le choix de l’ignorance pour être heureux, ou bien vaut-il mieux chercher à étendre le plus loin possible ses connaissances pour trouver son bonheur dans ce que l’on a cru comprendre du monde et de soi ? This is it, Ignorance is a bliss !

L’ignorance a sa propre science maintenant. Vous le saviez peut-être. Moi, je l’ai découvert avec enchantement. L’agnotologie, science de l’ignorance, ce néologisme a été créé en 1992 par Robert Proctor, professeur d'Histoire des Sciences à l’université de Stanford, pour désigner l'étude des diverses formes de l'ignorance et, en particulier, de la manière dont la société la produit, l'entretient ou la propage. Voici un rien en voie d’être un tout.

 « L’ignorance qui se sait, qui se juge et qui se condamne, ce n’est pas une entière ignorance : pour l’être, il faut qu’elle s’ignore soi-même. » Michel de Montaigne

La vie, chemin faisant, nous apprend aussi que les (vrais) sciences ont deux extrémités qui se touchent. La première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant. L'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis ; mais, ici il s‘agit tout simplement d’une ignorance savante qui se connaît. 

Autrefois, le monde des sciences était peuplé de savants. Aujourd'hui, il l'est de chercheurs. Ainsi, l'accent est mis sur tout ce qui reste à trouver plus que sur tout ce que nous savons déjà. Aussi, peut-on induire, sans trahir les grands esprits, que l'ignorance joue un rôle plus important que la connaissance dans l'avancée des sciences.

Le savant, le plus grand, est, bel et bien, celui qui connaît les limites de son savoir, c'est-à-dire l'infini de son ignorance. Voilà pourquoi nous voyons si peu de savants à la télévision alors que cette dernière convient si bien aux experts.

Écoutons, un moment, notre célèbre passe-partout, notre trouvère, notre sage espiègle, qui répétait, avec malice, qu’il rêvait d’organiser un séminaire où il inviterait des savants à venir parler à l’audience de tout ce qu’ils ne savent pas encore et aimeraient savoir. Il voyait dans cet aveu de leur ignorance, l’ultime coquetterie du savant. Sagesse made in Sancho Pansas.

 Combien de fois avons-nous croisé des savants incultes et des cultivés ignorants ? Souvent et sans le savoir. D'où le tiers instruit. Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore ; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend ; s'enfermer pour tailler les plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux ; tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets : voilà toute la comédie humaine. Balzac avait, si bien décrit à son époque, la totalité du réel en s'intéressant à des réalités jusque-là ignorées en littérature, parce que laides ou vulgaires.

Un élève, sans le savoir, se situe dans ce juste milieu de savoir et d’ignorance : il a des connaissances dans un domaine, mais elles sont souvent incomplètes. En fait, il doit savoir que les conditions idéales pour activer sa curiosité et sa motivation optimales à accroître ses connaissances sont un peu de savoir et un peu d’exposition à l’ignorance autour de ce savoir. Savoir 5 – Ignorance 1 

Enfin, savez-vous qui a dit : « nul n’est censé ignorer la loi » ? Moi je l’ignore ! Quelle erreur ! Cette maxime, qu’on ne peut pas ignorer, signifie que ce qui est su doit l'être de chacun, tandis que ce qui régit s'adresse à tous. Malheureusement, cela est tout à la fois vrai et faux. Vrai, parce que chacun ne peut invoquer l'ignorance de la loi pour échapper à ses devoirs, et que la loi vise chacun d'entre nous. Faux, parce que la présomption de connaissance de la loi est en réalité une fiction. Enfin, un peu de logique floue dans un monde trop binaire. Ignorance 4 – Savoir 2 : Balle au centre ! 

“The last word in ignorance is the man who says of an animal or plant: 'What good is it?” Aldo Leopold  

Vous avez aimé cette page ? Partagez-là !