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Notre essentielle faiblesse : Pænser autrement

" L’un des principaux enjeux post-pandémie consistera à construire une nouvelle économie industrielle capable de débloquer les capacités noétiques et émotionnelles de l’homme. Il nous faudra repenser une théorie des besoins entraînant de nouveaux modes de production et de consommation, lesquels ne pourront fleurir sans les retrouvailles avec une certaine nuptialité de l’Homme et de la Terre. Bref, il nous faudra Pænser autrement. " 

Découvrez la nouvelle réflexion de Monsieur Hamid Tawfiki.

«J’aime les ruptures de la symétrie, autant dire les événements. Ces singularités de l’espace annoncent un temps –mieux encore, en forment le moteur. Mortel, l’équilibre» Passe-Partout

Avec la pandémie qui perdure, nous réalisons que pour bien agir en conjurant l'acrasie nous devons absolument penser le futur à partir de ce qui panse le présent. Penser autrement. Pænser simplement. Cette essentielle faiblesse nous interpelle. Elle nous somme de réagir. C'est la raison pour laquelle "Pænser" est notre curiosité du moment.

Aussi vous propose-je, ici, une chronique sous forme d’une petite ballade de l'esprit en compagnie d’un duo atypique de défricheurs de l’infini.

Alors, à vos masques, prêts, pensez-y !

« Esprit : lumière claire, pudique et retenue, bariolant le corps et l’âme comme les millions de soleils de la nuit constellent l’univers » Le Tiers-Instruit

La langue française dispose de trois adjectifs pour qualifier le manque : pauvre se dit de qui a peu d’argent ; indigent de qui manque de nourriture ; misérable de qui est dénué d’habitat.

J'ai, aujourd’hui, une bonne vieille nouvelle pour vous. Vous êtes, peut-être, déjà au courant, mais sans en avoir pris réellement conscience. La nouvelle, la voici : Nous sommes tous misérables !

 En effet, ni le monde ni la vie ne nous donnent, après la naissance, vous savez ce moment inoubliable où nous quittons notre maison mère, une autre demeure «naturelle». Nous sommes donc par construction désadaptés. Nous sommes dépaysés de tout moyen d’habiter le monde.

Selon notre marin gascon, cette inadaptation de base nous lance dans des cultures imagées, des histoires vagues, des religions sans preuve et des sciences changeantes qui tentent éperdument de compenser ce manque et dont les pertes continuelles d’équilibre nous obligent à les réinventer sans cesse pour, de nouveau, en aplanir les écarts.

En fait, nous autres Hommes sommes la dissymétrie du monde. Nous en sommes l’animale anomalie. Comme notre corps, toutes nos constructions clopinent ; même notre raison boitille. Nous réparons nos œuvres vives et, en les réparant sans cesse, nous nous réparons. Nous avançons, cahin-caha, d’équilibre déséquilibré en équilibre compensé, plus ou moins ponctués.

« Le monde n'est qu'une branloire pérenne. Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d'Egypte. La constance même n'est autre chose qu'un branle plus languissant. » Michel de Montaigne

En réalité, nous nous mîmes à penser parce que nous sommes faibles de nature, d’origine et de genèse. Voilà notre faille, notre vide, notre fragilité, l’essence de notre hérédité. Voilà le secret réel et profond de la pensée humaine.

Les choses sont. Les vivants sont. Mais nous, êtres humains, nous existons. L’instabilité précède l’existence et ce mot, ex-sistence, désigne « écart à l’équilibre ». Nous voici au centre de ce qui produit le mouvement. Par conséquent, nous espérons sans cesse que penser compensera notre claudication, disait notre gaucher boiteux. En fait, il voulait dire que pour survivre nous devons penser.

"Comprendre, c'est le reflet de créer." Auguste de Villiers de L'Isle-Adam

Une crise, une transformation en puissance. Savez-vous que les modèles qui décrivent le mieux le processus de transformation, voire de formation initiale, les modèles les plus exacts de l’histoire de la pensée, sont ceux qui mêlent, ainsi, le hasard et la nécessité, le stochastique et le déterminisme, loi et aléa, et comme disait Pantope «Démocrite et Newton» ? Moi, je l’ai appris progressivement mais avec enchantement.

Ce qui est amusant, c’est qu’en pensant cet étrange mélange, on (re)découvre de belles rencontres. Souvenez-vous, souvenons-nous de ce qu’on nous a appris, dans les amphis, dans les petites classes, sans qu’on puisse vraiment réaliser la portée. La physique, les astres, l’univers.

Un rappel. On sait que l’univers fonctionne selon des lois. Mais on sait aussi qu’il se construit sur des constantes stables, comme celle de Planck dans le cas de la physique quantique, ou celle d'Einstein, plus connue sous le nom de «vitesse de la lumière», ou, plus classiquement, celle de Boltzmann pour la mécanique statistique. Ces constantes sont de véritables opérateurs de synthèse conceptuelle. Les lois ont une raison mais pas les constantes, car elles eussent bâti d’autres mondes. Notre monde, nécessaire et contingent, évolue et se fonde donc, à la fois, sur le principe de raison et sur un ensemble d’exceptions à ce même principe, à cette même raison. Mille milliards de mille sabords !

"Quand on a envie d'un miracle, il faut savoir attendre" Günter Grass

Alors, vaille que vaille, mêlons donc hasard et nécessité, lois et contingence, comme un maître queux (un coq) goûte ses sauces pour ne les rater ni les gâter, comme un peintre trie ses teintes, comme écrire équilibre en musique, sous contrainte puissante de sens et de rigueur, le rythme des phrases et la clameur des termes. Faisons-nous plaisir en composant.

Nonobstant la découverte de l’Exoterre "Proxima-b" en 2016, on sait aujourd’hui que nous n’avons qu’une seule Terre, que nous formons une seule humanité, au-delà des différences morphologiques inessentielles, et qu’il existe quelque chose en l’Homme, qu’on le nomme comme on voudra - personne, conscience, âme, sujet, soi - qui doit être respecté.

Par conséquent, l’un des principaux enjeux post-pandémie consistera à construire une nouvelle économie industrielle capable de débloquer les capacités noétiques et émotionnelles de l’Homme. Il nous faudra repenser une théorie des besoins entraînant de nouveaux modes de production et de consommation, lesquels ne pourront fleurir sans les retrouvailles avec une certaine nuptialité de l’Homme et de la Terre.

"Si la pensée est démunie, c’est parce qu’elle a cessé de se penser comme soin." Bernard Stiegler,

Selon Bernard Stiegler, Penser c'est Panser. Il suggère aujourd’hui de «pænser» une mystagogie de la raison. Autrement dit, développer une cure, une approche ouverte à l’improbable, à l’incalculable, pour commencer, sérieusement, un travail de soin, afin de corriger les méfaits de l’intelligence fabricatrice et des algorithmes des technologies du capitalisme qui sont un grand accélérateur d’entropie. Seules des hyper-Lumières peuvent soigner, panser les Lumières.

La description d’un mode de vie durable est peut-être le premier pas vers la prise de conscience, la conversion de ce qui nous enchaîne, de toutes ces habitudes destructrices. Peut-être est-ce là le seul moyen de retrouver l’inventivité et l’esprit d’enfance, celui de Greta Thunberg en est un bel exemple.

Mais il y a bien sûr aussi l’esprit d’enfance de Walter Benjamin qui écrivait dans Le Livre des passages: «Seul un observateur superficiel peut nier qu’il n’y ait des correspondances entre le monde de la technique et le monde archaïque de symboles de la mythologie. Tout d’abord, il est vrai, la technique nouvelle n’est perçue que dans sa nouveauté. Mais il suffit qu’elle entre dans le premier souvenir d’enfance venu pour que ses traits changent. Par l’intérêt que l’enfance porte aux phénomènes techniques, par la curiosité qu’elle a pour toutes sortes d’inventions et de machines, chaque enfance relie les victoires de la technique aux vieux mondes de symboles ».

« Nature qui l'emporte sur culture est frustrée, culture qui l'emporte sur nature est pédante. Seule leur combinaison harmonieuse donne l'homme de bien. » Confucius

En guise de dessert, je propose de partager avec vous une délicieuse sagesse verte. Il s’agit de la fable du sapin et de l’érable boule, concoctée par notre passe-partout. En effet, nous savons tous qu' il y a plus dans les forêts que dans les livres : Sic itur ad astra

Savez-vous pourquoi certains arbres, dont les sapins, ont la même forme en pyramide ? Tout simplement parce que les cellules de la crête secrètent une substance si toxique qu’elle inhibe la croissance des branches voisines. Cherchent-elles à les tuer ?

A la suite immédiate du sommet, les bourgeons successeurs peuvent à peine se développer ; ainsi les branches proches y restent-elles courtes. A mesure de la descente le long du tronc, la dite substance, perdant peu à peu son efficace par dissolution, s’éteint enfin, de sorte que les branchages bas peuvent s’allonger d’autant qu’ils s’éloignent de la cime. D’où l’allure conique du roi des forêts froides. Nul ne peut se développer au voisinage du sommet. Quelle belle image-naturelle !- de la puissance et de la gloire ! Quel philtre le pouvoir secrète-t-il ?

Chez d’autres arbres, au contraire, l’érable boule comme le frêne boule, les éléments du haut ne produisent aucun toxique ; il n’y a point à proprement parler de haut ; Ainsi leur houppier, de forme sphérique, mime-t-il un globe, capable de se développer dans toutes les directions. En toute liberté, égalité, fraternité. Une belle image florale de la démocratie !

Et pour finir, un After. Pour vous, ça sera un cocktail de mots apprêté par notre barman préféré.Un délice à déguster sans modération !

«A quelque moment de misère et de lucidité, nous éprouvons tous en nous ce trou, cette faille de fond, ce lac de larmes stable à la base du thorax, par où nous accédons à notre humanité, ce pertuis d’où jaillissent sublimes supplications qui nous jettent, tremblants, secoués de sanglots, les paumes levées vers qui ?.... » Pantope Pleure !

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