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Le mythe de Saint-Denis

"Quand le souffle s’essouffle et quand l’élasticité devient viscosité, il est grand temps de faire appel à la puissance de l’ex-nihilo pour faire émergence et commencement, pour raviver la flamme de l’enthousiasme du vivre ensemble dans un monde qui se transforme à toute vitesse" ...                                                                                                                                                             

 

Une tribune de Mr Hamid Tawfiki, DG de CDG Capital.

“If you tell the truth, you don't have to remember anything.” Mark Twain

Savez-vous que le terme scientifique du syndrome de la page blanche est la leucosélophobie ? Moi je ne  l’ai appris que dernièrement, mais avec ravissement.  Pour un auteur, ce phénomène est dû à sa volonté de créer une œuvre parachevée, de faire luminescence, tout en pensant que toute idée qui lui vient à l'esprit est, a priori, systématiquement mauvaise, de telle sorte qu'il devient alors impossible pour lui de commencer ou de compléter son œuvre.

L'avenir, notre avenir, est-il, lui aussi, sujet à la leucosélophobie? Force est de constater que, de nos jours,  répondre à cette interrogation est au mieux positif, au pire intransitif. Cela dit, la complexité de la situation et son aspect inédit, nous oblige, indubitablement, à transposer cette espèce de paralysie intellectuelle, à nos chemins de vies, nos trajectoires futures : notre vie est une succession de pages blanches qu'il nous incombe de métamorphoser en quelque chose de construit et qui possède du sens. Cela nous rappelle que nous sommes, au moins en partie, et probablement beaucoup plus que nous ne le pensons, créateurs de ce que nous vivons.

Avant d’aller plus loin, rappelons que si le syndrome de la page blanche est la phobie de l’auteur, le « pas-maintenant » est le mantra du procrastinateur. Horresco Referens. Mais notre vie n’est que mouvement disait Montaigne, alors allons-y ! Écoulement vôtre !

Dans notre précédente tribune, nous avions souligné qu’avec la Pandémie, le sort de l'économie mondiale ne dépend pas de ce qu’induit le virus, mais de la façon dont nous choisissons de réagir. Décider, agir, agir même parfois, s’il le faut, contre soi, pour relever les défis auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés et prendre les décisions stratégiques courageuses qui s’imposent.

Nous avons constaté, partout dans Pantopie, le retour en force de l’État-providence. Cela veut dire qu’en premier lieu, l’État s’occupe du bien-être social des citoyens, et non plus seulement de la police, de battre la monnaie, de gérer ses relations internationales ou de faire la guerre. En second lieu, lorsque les solidarités primaires sont défaillantes, les citoyens peuvent compter sur la puissance publique, pour vivre l’émanation de la solidarité nationale.

État-providence, État-incitateur,  État-stratège ?

Avec la Pandémie, l’avènement (ou le retour) de l’État providence a marqué une profonde inflexion de la conception du rôle de l’État : jusqu’alors voué au respect des grands équilibres, celui-ci se voit, aujourd’hui, un peu partout, par nécessité,  confier la responsabilité du développement économique et social. Cette responsabilité implique l’adoption d’une démarche proactive, illustrée par la construction de «politiques», visant à atteindre certains objectifs, au nom de l’impératif de «la reconstruction ».

Avant,  l’État était  chargé de superviser le jeu économique, en établissant certaines règles et en intervenant de manière permanente pour amortir les tensions, régler les conflits, assurer le maintien d’un équilibre d’ensemble. Il appartenait à l’État, presque partout, de veiller à ce que la croissance soit régulière, continue, harmonieuse, en corrigeant les fluctuations du marché, ainsi que de favoriser l’avènement d’une société plus juste et mieux intégrée, par la réduction des inégalités et la possibilité donnée à tous d’accéder aux biens essentiels. Ambition louable avec des résultats qui restaient très mitigés.

Aujourd‘hui, l’impact de la Pandémie est tel que nous sommes en train de passer de l’Etat Pilote à l’État stratège. Cela  signifie que l’État est tenu maintenant d’adapter ses formes d’action à l’arrêt brutal de l’économie. Devant penser la reconstruction  d’une économie dans un jeu complexe d’interactions et d’arbitrages,  l’État est conduit à élaborer une stratégie adéquate, prenant en compte à la fois la nouvelle réalité (dislocation des chaines de production, retour à l’essentiel, le climat et la durabilité),  les nouvelles contraintes (la procrastination bannie à jamais) et les moyens d’actions nécessaires.

On peut pousser, encore plus loin, ce volontarisme, en donnant à l’État, pendant cette période de reconstruction, la mission de concevoir et de mettre en œuvre un projet global de développement, couvrant tous les aspects de la vie économique et sociale : la planification serait l’expression emblématique de cette grande ambition ; prolongée par un ensemble de politiques sectorielles, économiques, mais aussi sociales et culturelles, la démarche planificatrice exprime la conception d’un État érigé en fer de lance d’un changement structurel.

Quid de l’irrigation du corps économique? Longtemps, la finance fut subordonnée à l’activité économique. Depuis environ plus de deux décennies, le lien de subordination s’est inversé. La crise de 2008 avait d’abord touché la finance avant de se propager à l’ensemble des compartiments de l’économie. Cependant, aujourd’hui, nous avons une crise sanitaire qui a déclenché une crise cardiaque économique, et, pendant ce temps, la finance danse, serre les dents et attends son tour.

Après le coma provoqué de l’économie, les puissances publiques des pays avancés sont intervenues, immédiatement, massivement, peut-être excessivement. Ils ont compensé partiellement la perte de revenus des entreprises et des ménages par un déficit public colossal. L’augmentation de ce déficit public serait du même ordre que la perte du revenu national, le PIB. L’addition des plans de «relance», de «sauvetage», de « survie » des économies représenterait plusieurs milliers de milliards de dollars. Mais, mille sabords, d’où vient cet argent ?  Cela me rappelle "Moha-le-fou" qui disait que les banques s’octroient un principe divin : elles créent la monnaie à partir de rien.

Avant d’aller plus loin, écoutons ce que nous raconte l’histoire sur ce sujet. La révolution industrielle a jeté les bases de notre époque capitaliste moderne. L'innovation, en cette période dynamique, reposait sur l'adoption généralisée de deux idées anciennes: la création du papier-monnaie et l'invention des banques qui émettaient du crédit. Aujourd'hui, nous prenons ces systèmes pour acquis, mais à la base, les deux idées étaient révolutionnaires et presque magiques.

Le papier ordinaire est devenu aussi précieux que l'or, les dépôts bancaires à court terme ont été transformés en  prêts à long terme risqués. Cette alchimie financière (dont l’essence est la confiance) est à l’origine de la création de pouvoirs financiers extraordinaires. La foi en ces pouvoirs a entraîné d'énormes avantages ; la liquidité créée a alimenté la croissance économique depuis maintenant deux siècles. Cependant, ces pouvoirs ont également produit une série sans fin de catastrophes économiques : de l'hyperinflation aux effondrements bancaires en passant par la stagnation, voire la récession mondiale.

Pour financer la guerre sanitaire contre le coronavirus, les banques centrales renouent avec leurs origines plus qu’elles ne s’en éloignent. Elles ont été bâties à partir du 17ème siècle pour trouver un moyen plus efficace de financer la guerre militaire. «La Old Lady» britannique a été créée en 1694 pour porter la reconstruction de la flotte militaire anglaise détruite par les Français. La Banque de France a été fondée en 1800, notamment pour accompagner les offensives de Napoléon. Et l’histoire est la même partout en Europe, du Portugal à la Finlande.

En fait, pour sauver les Etats sans les endetter au-delà du soutenable, les banques centrales ont fait un pas de plus dans la direction du quantitative easing. Après la FED, La Banque d'Angleterre et la BCE, un nouveau pas a été fait par la Banque du Japon sans l’avouer, mais un pas qui constitue pour certains le franchissement d’une ligne rouge : Les Banques Centrales vont devoir acheter directement des obligations d’Etat. Et ensuite, peut-être, probablement, un jour, boukra, les effacer.

Quid de la finance des marchés? À bien y regarder, les Bourses mondiales se sont comportées comme tout le monde vis-à-vis de l’épidémie : elles se sont d’abord aveuglées, puis ont paniqué, avant de se stabiliser dans une forme d’accoutumance inquiète. La crise financière a-t-elle été évitée ? Restons prudents, restons vigilants. L’œil du cyclone nous guette.

Le système financier global a bien sûr été impacté (son stock ne peut pas être durablement immunisé et ses flux reflètent déjà l’inquiétude, le questionnement silencieux des opérateurs). Une intensification de la crise (sanitaire et économique) pourrait menacer encore plus la stabilité financière. C’est pour cela que les banques et les marchés de capitaux doivent sortir de «l’ankylose» pour épouser  la transformation programmée de l’économie, en étant une force de propositions, un cœur dynamo. Ils doivent refléter dans leurs offres, leurs allocations de capital, leurs appétits de risque, les nouvelles priorités, les nouvelles exigences de la reconstruction. Et surtout faire que le risque systémique soit notre clarté à tout moment.

Par conséquent, dans plusieurs pays avancés, ce n’est pas seulement de la dette qui finance la crise, mais la monnaie. Comment les générations futures devront-elles gérer ce lourd héritage (par l’impôt, par l’inflation ou par les deux) ? Quel est  l’impact de la masse gigantesque de monnaie produite pour financer la reconstruction? Pensons-y et préparons-nous à cette instabilité induite dès maintenant.

“I guess I should warn you, if I turn out to be particularly clear, you've probably misunderstood what I've said.” Alan Greenspan

Et pour finir, faisons appel à notre passe-partout, notre pantope préféré. Il  nous avait conté, jadis, une légende plaisante : Au 2ème siècle après Jésus-Christ, un évêque du nom de Saint Denis est décapité sur ordre du pouvoir romain. Un «miracle» se produit alors : le supplicié prend sa tête dans ses mains et se met à marcher ! Notre Tiers-Instruit avait utilisé cette  légende, pour apporter avec humour et fantaisie une réponse pédagogique et optimiste à tous ceux qui pensent qu’il n’y a plus d’avenir !

Quand la cognition centrale, qui englobe la mémoire, le raisonnement, la compréhension, est objectivée, ou autrement dit, quand on fait sortir du corps ses performances, ses fonctions cognitives, pour  les loger dans l’objet (ici l’ordinateur) que nous reste-t-il ? Notre Arlequin répondait sagement, en utilisant la parabole de Saint-Denis, pour dire qu’en perdant «notre tête» et en la remplaçant par l’ordinateur, il nous restait, nous, être humain, ce qui est noble, ce qui est l’essence même de l’évolution : l’imagination, la créativité, l’innovation.

Quand le souffle s’essouffle et quand l’élasticité devient viscosité, il est grand temps de faire appel à la puissance de l’ex-nihilo pour faire émergence et commencement, pour raviver la flamme de l’enthousiasme du vivre  ensemble dans un monde qui se transforme à toute vitesse.

 En ce moment, l’histoire qui nous attend ressemble un peu à la Renaissance, celle qui nous pousse à voir un équivalent Moyen Age s’écrouler. On veut garder le meilleur du passé, c’est certain, mais il faut voir qu’il y a un virage à prendre et qu’il nous faut le prendre avec élan. Cela vaut le coût, vraiment le coup, d’être les entrepreneurs de ce monde de demain.

“Rien de ce qui est vrai ou beau ou bon n’a un sens complet dans un contexte immédiat de l’histoire. Par conséquent, nous devons avoir la foi» Un sage inconnu

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