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Les trois Infinis ou le trio de notre curiosité

Le grand défi du 21ème siècle serait a priori de faire du risque systémique notre clarté.
Il s’agirait, pour nous tous, de développer une vision globale de l'organisation du monde. Cette approche reposerait sur des systèmes interactifs qui se tiennent, s’enchaînent, se bouclent, s'imbriquent créant "la complexité".
Nous aurions aussi à développer une nouvelle méthode pour analyser globalement le monde. Ce qui veut dire adopter une approche systémique.

Découvrez une nouvelle réflexion de Monsieur Hamid Tawfiki.

 

« Nous allons entreprendre un voyage dans un monde souterrain, le monde des significations cachées derrière l'apparence des choses, le monde des symboles où tout est signifiant, où tout parle pour qui sait entendre. » Amadou Hampâté Bâ

En grec, l'infini se disait "apeiron". Ce mot péjoratif désignait à la fois l'infini et l'indéfini, il désignait aussi le chaos originel. Alors que chez les Romains, ce symbole étrange, ce huit paresseux, était utilisé pour représenter 1000, puis un grand nombre.  A l’époque, l’infini était petit !

Savez-vous qu’au début, l’infini était interdit ? L'infini se disait de Dieu et tout ce qui est ontologiquement second à Dieu était seulement indéfini, c'est-à-dire qu'il traduit l'ignorance du sujet. L’indéfini se dit du monde physique et des mathématiques et désigne ce dont on ne peut prouver les bornes. Sa véritable nature est l'indétermination, puisque ni fini, ni infini.

L’infini, quand il n’y en a plus, il y a Cantor!  

En effet, chez les mathématiciens, l’infini a été un des plus importants sujets de discorde de l’histoire. Tout cela à cause des travaux d’un seul homme, Georg Cantor qui, en 1874, pour la première fois dans l’histoire réussissait à appréhender l’infini avec rigueur, mais certains de ses résultats remirent en cause les bases sur lesquelles se fondaient les mathématiques depuis des siècles.  Son célèbre article est révolutionnaire car, pour la première fois, l’infini est considéré non plus comme une limite inatteignable mais comme un possible objet d’investigation.

Les trois infinis, le trio de notre curiosité : le petit, le grand et le complexe

En général, le mot trio est utilisé pour désigner une composition musicale écrite pour trois parties vocales ou instrumentales, ou pour décrire un groupe de trois personnes qui vivent, s'amusent ou agissent ensemble. De notre enfance cinéphile, quel célèbre trio nous a permis de rêver d’ailleurs et de se projeter dans le désert en choisissant son personnage préféré ? Et si je vous disais Ennio Morricone et Sergio Leone ? Bravo ! voici, notre trio débusqué, en trois secondes, et en trois langues. Il s’agit bien de la triade western :  Le Bon, la Brute et le Truand ; The Good, the Bad and the Ugly ; Il Buono, il Brutto, il Cattivo.  Quel délice, quelle histoire, quels personnages ces trois as de la gâchette qui, durant la guerre de sécession, sont à la recherche d'un chargement d'or disparu !

Mais notre trio du moment est celui de notre curiosité aujourd’hui. Il est peut-être moins glamour, mais ô combien fascinent. Il s’agit des particules, des étoiles et des liens, en somme, les trois infinis. Tout d’abord, l'infiniment petit qui couvre l’ensemble des bizarreries du monde quantique, là où on est bien sûr innocents. Ensuite, l'infiniment grand, cet  univers de nombres astronomiques, là où on est clairement insignifiants. Enfin, il y a l'infiniment complexe qui concerne le labyrinthe de nos réseaux cérébraux. Mais là, chut, on est juste inconscients.  

Cette curiosité veut nous faire ressentir trois vertiges, un peu comme lorsque l’on s’éloigne du confort sur la terre ferme, qu’on s’approche du bord d’une falaise et qu’on regarde en bas. On y découvre alors une perspective inhabituelle qui déstabilise nos sens.

Dans ce cas-ci, c’est notre sens commun qui sera déstabilisé alors que nous allons explorer les trois infinis vertigineux qui débordent le spectre limité de nos sens : l’infiniment petit, avec la physique quantique; l’infiniment grand, avec l’astrophysique; et l’infiniment complexe, avec les neurosciences.

The good thing about science is that it's true whether or not you believe in it” Neil de Grasse Tyson

Nous pensons que notre cerveau, issus de l’un de ces systèmes spécialisé (ie système nerveux), est aussi compliqué qu’un ordinateur ? Détrompons-nous : il l’est bien plus, et d’une toute autre façon, malgré des influx nerveux un million de fois plus lents que l’électricité. Whenever we look at life, we look at network. Ce n’est pas juste le cerveau qui est complexe, c’est toute la vie avant lui qui a permis son émergence et toutes les sociétés humaines après qui se sont constituées grâce à lui.

Nous croyons peut-être aussi qu’un être humain n’a plus grand-chose à voir avec une bactérie ou une amibe ? Let’s think it over calmly and quietly. Ce faisant, on apprend que l’ovule fécondé d’un humain est aussi une cellule unique. Ses cellules-filles ont seulement la fâcheuse habitude de rester attachées ensemble, de se spécialiser et de se coordonner pour donner l’organisme multicellulaire complexe que nous sommes.

Alors préparons-nous à délaisser, l’espace de nos cinq minutes, le registre rassurant de la psychologie humaine dans lequel nous évoluons tous les jours avec nos croyances, nos désirs, nos convictions, et toutes ces choses évidentes que nous attribuons à nous-mêmes et aux autres. Allons découvrir le monde de la supraconductivité et de l’intrication quantique, de la vitesse indépassable de la lumière aux années-lumière, et de l’activité oscillatoire synchrone de réseaux de neurones distribués !

D’après Erich Jantsch, the self-organizing universe, la Microévolution rend possible la Macroévolution et vice versa. Nous en doutons ?  C’est normal. Mais allons plus loin.

« Regarder le ciel dans le télescope est une indiscrétion ». Victor Hugo

Nous pensons par exemple que les étoiles sont bien trop loin pour avoir quelque chose à voir avec nous. Et pourtant, les atomes qui nous constituent viennent en grande partie de là. Nous pensons que la vie est apparue à un moment précis au cours de l’évolution et que l’on peut assez bien distinguer le vivant de ce qui ne l’est pas. Et pourtant, on aurait, à priori, répertorié 300 définitions de la vie dans la littérature scientifique avant d’arrêter de compter. On aurait aussi prouvé que l’évolution chimique qui a précédé l’évolution biologique pourrait bien utiliser les mêmes «procédés» que cette dernière, rendant une coupure nette entre les deux encore plus illusoire.

Le grand défi du 21ème siècle serait a priori de faire du risque systémique notre clarté. En somme, il s’agit pour nous d’appréhender clairement la complexité du réel: le fait que l’homme est tout à la fois un individu biologique et un acteur social ; le fait que dans la nature, l’ordre peut naître du désordre, et réciproquement ; et enfin le fait que ce qui limite la connaissance porte la marque du sujet qui le connaît et, qu’inversement, tout sujet connaissant porte l’empreinte du monde extérieur.

L'infiniment petit est certes observable par un Microscope. L'infiniment grand est aussi observable, à priori, par un Télescope. L'infiniment complexe se doit aussi d’être observable. Par quoi ? Certains parlent d’un Macroscope, un instrument symbolique fait de méthodes et de techniques empruntées à des disciplines très différentes.

Un tel dessein, on l’aura compris, ne s’accommode guère d’une méthode réductrice et simplificatrice, d’une méthode qui entend isoler les phénomènes de leur environnement, éliminer l’observateur de l’observation, exclure de la science tout ce qui n’entre pas dans le schéma linéaire : l’aléatoire, l’incertain, l’anormal, le compliqué.

Il s’agit, au contraire, d’adopter un paradigme qui permette de concevoir comme lié ce qui, jusqu’ici, était considéré comme disjoint. Il faut battre en brèche les cloisonnements et alternatives : dualisme de l’homme et de la nature, de la matière et de l’esprit, du sujet et de l’objet, de la cause et de l’effet, du sentiment et de la raison, de l’un et du multiple. Purée de nous autres !

«Je tiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout, non plus de connaître le tout sans connaître les parties…» Pascal

Aujourd’hui, les problèmes sont de plus en plus transversaux, multidimensionnels, transnationaux, globaux, planétaires. Or les problèmes particuliers ne peuvent être posés et pensés correctement que dans leur contexte. En fait, le défi de la globalité est, en même temps, un défi de la complexité ; en effet, il y a bien complexité lorsque sont inséparables les composants différents constituant un tout (comme l’économique, le politique, le culturel, etc.). Une pensée incapable d’envisager le contexte et le complexe planétaire rend aveugle et irresponsable. Nous devons non seulement découper, cloisonner et isoler, mais aussi relier et recomposer.

« L’organisme restreint la créativité individuelle des unités qui le composent dans la mesure où ces unités existent pour cet organisme. Le système social humain amplifie la créativité individuelle de ses composants, dans la mesure où le système existe au service de ces composants. » Inconnu

Il s’agirait pour nous, aujourd’hui, de développer une vision globale de l'organisation du monde. Cette approche  reposerait sur des systèmes interactifs qui se tiennent, s'enchainent, se bouclent, s'imbriquent créant "la complexité". Il s’agirait pour nous de développer une méthode pour analyser globalement le monde, ie une "approche systémique". Il s’agirait aussi de nous doter d’un outil, pour mettre en action tous les systèmes naturels et humains pour une société équilibrée, par exemple "le macroscope". En vue de bâtir un scénario de société équilibrée : "l'écosociété".

Selon Joël de Rosnay, l’inventeur du macroscope, la maîtrise de ces paramètres déboucherait sur une nouvelle citoyenneté définit sous l'appellation "d'Honnête Homme" du 21ème  siècle.

De nos jours, post-Covid, la résistance des systèmes aux changements, à l'évolution se fait largement sentir. Il est à noter des stagnations et même possibles des retours en arrière. La décentralisation est devenue loi mais son application est plus administrative que citoyenne et elle a fabriqué plus de complexité que de simplification. Les déséquilibres écologiques ne se ralentissent pas même si la prise de conscience est indéniable. Les catastrophes industrielles, économiques, sociales, nous guettent à tout instant.

Heureusement, le progrès n'est pas linéaire et le futur n'est pas écrit d'avance. Aussi devons-nous façonner une mentalité de « jeu infini ». Autrement dit, nous devons avoir une juste cause. Et nous l’avons ! Une cause si juste que nous sacrifierions volontiers notre intérêt pour faire avancer cette cause. Nous devons avoir la confiance chevillée au corps. Une promesse infaillible pour une espérance inébranlable. Nous devons avoir une grande capacité d’agilité. S’adapter. Changer. Revisiter. Questionner. Soyons Fragile et Mobile plutôt que Solide et Immobile. Un seul objectif compte : faire avancer notre cause. L’art d’être agile est dans l’ère du temps !

Enfin, il nous faut avoir le courage de réussir. Cela signifie avoir le courage de dire: «C'est mauvais pour les affaires aujourd’hui, et nous allons le faire différemment». Les sceptiques peuvent nous appeler naïfs, mais nous devons faire la distinction entre norme et pratique, entre intérêt personnel et intérêt supérieur. Oui c’est dur mais le plaisir de servir la grande cause en vaut largement la peine.

« Nous sommes tous des poussières d’étoiles » Huber Reeves

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